• Sur le portrait

    Quelques notes générales

    de Maurice Joron sur le portrait

    6 juin 1929

    - Enumérer les qualités, les pousser jusqu'au bout : séduire, la séduction multiple, claire, irrésistible. La prise au sérieux, les yeux dans le vague, dans l'avenir, dans l'esprit.

    Rédiger une liste très serrée de ce que je dois faire pendant l'exécution, en esprit et en peinture. Donner la plus terrible attention et le plus terrible travail à cela et le portrait est virtuellement fait quand ces questions sont établies, claires et logiques. Autrement il est infailliblement toujours raté. C'est le même système que pour Racine et ses tragédies.

    Peinture, exécution : une ébauche, d'un dessin très étudié en dessous, assez poussée de coloris pour être près de la nature et cependant pas assez poussée pour permettre, à la deuxième séance, la vigueur et la vie entière du coup de pinceau. Le plus approchant de la nature pour les tons, car c'est mon défaut : je ne vois pas finement tout de suite.

    Et dans la "construction", surtout pour finir, il faut laisser le fond blanc de l'ébauche.

    Il y a le point juste : pousser assez la couleur et les rapports pour ne pas trop laisser un deuxième coup à mon impression, et cependant assez pour faire une réaction violente, vivante. C'est au sens constructif qu'il faut avoir recours, c'est sur lui que repose définitivement l'excellence de cette exécution.

    Alors, plus j'aurai de construction (plus je construirai), moins je serai embarrassé - plus facile sera ce cap à passer - et meilleure sera la peinture. Combien il faut que tous les autres nombreux éléments soient étudiés et déterminés pour que l'exécution puisse se faire en sécurité.

    - Pas de sourire, c'est niais et c'est une devanture qui cache et n'a aucun intérêt. Mais avec tout le charme, la grâce, la séduction, les idées profondes les plus tristes et fatales : de ce contraste doit sortir quelque chose d'extraordinaire.

    - Il faut faire bien attention de sérier logiquement les traits d'expression et de caractère, car je me laisse toujours entraîner : exemple = Melle T.H. : ses yeux allongés ne m'étaient pas sympathiques et je ne les ai pas faits, seulement après une longue étude, à la fin du travail. Il fallait que je les adopte tout de suite et que je les fasse tout de suite. Il y a aussi une petite grimace du nez qui ne fait pas bien, qui est une expression de détail à laquelle je me suis laissé entraîner et cela est très bête.

    Je ne devrais jamais, si j'avais considéré ma figure en général, faire des bêtises de goût pareilles.

    Septembre 1929

    - L'atelier, la lumière de l'atelier, c'est un laboratoire, fait pour examiner les gens et faire sortir au mieux les psychologies. Ainsi pour le " Ch. M." de BOULET, l'effet dramatique attirait plus que l'homme n'attirait. C'est ce qui arrive souvent dans RAYBURN (c'est un défaut). J'arrive un peu à la mécanisation américaine de l'art du portrait.

    En principe il faut que la lumière fasse le minimum d'ombres, c'est-à-dire marque seulement le creux de la physionomie où elle ne peut pas aller, comme dans GRECO.

    Même si c'est un dramaturge, il ne faut pas le marquer ainsi, mais faire comprendre par la forme spirituelle de certains traits de la figure, sa qualité de dramaturge ; et mettre alors ce drame dans les à-côtés, le fond

    Ce qu'il faudrait que j'arrive à faire c'est :

    - PORTRAIT = LA FIGURE terminée jusqu'au bout, logiquement, comme les nus de GUIRAND, avec cette sentimentalité intense que je sens dans les figures. Le "jusqu'au boutisme" du fini pour l'expression plus intense des qualités sentimentales (me reporter à SALA). Le but étant seul d'écrire, de montrer la plus formidable sentimentalité vue dans autrui.

     

    Les femmes et leurs portraits

    Portraits de femmes. Relations avec les femmes.

    Ce qu'elles veulent c'est être assurées qu'on est avec elles d'une façon désintéressée sans ta moindre idée sensuelle (intérêt chez nous les hommes et idée dégradante chez elles). Quand elles cherchent en nous à s'assurer, à savoir si on est réellement sympathisant, ce n'est pas avec l' idée d'emprise, de sensualité, c'est pour savoir si on est réellement à elles, désintéressé, d'amitié pure, si elles peuvent compter sur ce désintéressement et ce dévouement - purement platonique.

    Le commerce des femmes doit être tout naturel chez moi, sans la moindre gêne, ni état d'esprit spécial, ni reste de crainte. Très peu d'hommes savent comprendre cela. Elles ne sont pas habituées à notre désintéressement.

    Ce que veulent les femmes (dans leur portrait)

    SEDUIRE (il ne s'agit pas du tout de sourire et du regard de face : ça c'est le portrait bête). Ce n'est pas avec le sourire qu'on séduit, c'est avec des qualités de séduction. Que fait une femme qui veut vous séduire ? Elle a autre chose à faire que de sourire. Elle est aimable tout au plus. Comment se comportent son âme, ses sentiments, l'expression de ses yeux etc, etc.

    Et la coquetterie, la "rejeunesse", la beauté, la "joliesse", la fierté, le joli ou bel animal plein d'élégance et de promesse, et qu'on admire ! Le sourire cache les qualités, c'est ce qui fait si bête.

    Quand la femme cherche à séduire, c'est avec le charme, la grâce, l’esprit, la coquetterie, mais pas du tout la sensualité car c'est contre sa nature, ou il faudrait qu’elle soit complètement perdue de dépravation.